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Nul ne pourra nier le déficit d’infrastructure et d’équipement de notre école nationale. Des flots de critiques ont été véhiculés à travers la presse, les organes de la société civile, voire le Parlement, sur la misère des établissements scolaires, dans lesquels les enfants passent le plus clair de leur temps éveillés. Photos à l’appui, rien n’y échappe, des latrines (toilettes scolaires) aux plafonds craquelés, en passant par les pupitres doubles qui invitent généreusement un troisième élève. Le Maroc, nous répète-t-on, est un pays à faible revenu national, et c’est un fait admis. Dans le même temps, la plus claire partie des 64 milliards de budget de l’éducation nationale est engloutie par les salaires, et c’est aussi un fait avéré.

Sur un autre registre, le naufrage de l’école nationale publique en matière de qualité et d’Outcome n’a pas cessé d’être décrié non pas par la seule société civile, dont les ténors ne souffrent pas de ce déficit au quotidien, faute d’avoir mis leur progéniture dans ce bateau, mais aussi est surtout par le ministre de l’Education nationale lui-même, visites et rapports d’audit interne à l’appui. Depuis lors, le ministère a engagé moult mesures de réforme, touchant principalement les contenus enseignés. Notamment, une nouvelle politique linguistique a été adoptée, à la faveur et l’appui du Conseil supérieur de l’enseignement, mais sans débat national (que la société civile a pourtant réclamé), alors qu’une telle question à la portée civilisationnelle mériterait même un référendum. De plus, des allègements des curricula et révisions de manuels ont été entamés, en réponse au diagnostic opérationnel qui a été mené. Ces mesures de réforme ne porteront leurs fruits que si l’on s’attaque sérieusement à la question des compétences des enseignants, produit de leur formation initiale, de leur mécanisme de recrutement et de leur formation.

La réforme à moindre coût

En synthèse, voilà donc des mesures au coût non négligeable, alors même que les ressources budgétaires n’abondent pas. Y aurait-il une mesure dont le rapport coût/opportunité serait plus avantageux? Ma réponse est oui, et j’ai désigné le management, à tous les niveaux et dans tous ses états.

Les niveaux dans lesquels le management est porteur de solutions sont multiples. La Direction de l’école d’abord, qui, en général, n’a pas su dépasser l’action individuelle du directeur, en s’associant réellement et efficacement les services du Conseil d’établissement, pourtant prévu par la loi. Un directeur d’école gagne à être recruté selon un profil de compétences managérial, sur la base d’un projet, à défendre devant une commission, voire même par appel à candidature. Si le ministère ne dispose pas des ressources humaines suffisantes pour gérer cycliquement un tel dispositif, qu’il fasse appel à la société civile et aux parents d’élèves, et nous nous mobiliserons tous pour la cause. Cette approche vaut autant pour les délégués de l’Education nationale et pour les directeurs d’Académie. A fortiori, elle est impérative pour les fonctions centrales au sein du ministère. De manière générale, que les fonctions académiques (comme les curricula) soient confiées aux pédagogues, que les fonctions pédagogiques comme l’inspection, la formation des éducateurs et l’administration pédagogique soient confiées aux éducateurs, mais que les fonctions administratives et managériales à toutes les échelles du système reviennent à des responsables managers ou tout au moins sérieusement formés au management. Les connaissances et savoir-faire managériaux sont seuls capables d’habiliter un gestionnaire de la chose éducative à réussir dans sa mission, au regard des standards internationaux de gestion d’un établissement ou département scolaire. Il s’agit de compétences telles que la vision stratégique et la planification, le sens de l’organisation et des priorités entre les tâches du plan d’action, le leadership et la communication interne à l’établissement et avec les parents et familles, la gestion efficace orientée résultats et rendement, la capacité de résolution de problèmes, la connaissance des techniques budgétaires & commerciales pour les achats et gestion des stocks, ou encore les techniques de gestion d’équipe. La procédure actuelle de désignation de responsables d’établissements et de responsables de la hiérarchie administrative s’obstine à promouvoir, ou plutôt à recaser dans ces postes des inspecteurs qui ont cumulé un certain nombre d’années professionnelles, voire des vétérans de la classe proches de la retraite. A de rares exceptions, on ne sait plus si ce sont des promotions ou des voies de garage. Messieurs du gouvernement et Messieurs des syndicats, il fut un temps où lorsqu’on était fatigué de la classe, on méritait généreusement de se retirer dans un poste d’administration. Ce temps est définitivement révolu dans les pays où l’on fait de l’éducation un levier de développement et de croissance. Dans les pays où l’éducation est encore un secteur foncièrement social pour que beaucoup profitent de la manne publique, et fortement syndiqué pour que les droits priment sur les obligations, on attend encore que Godot apporte le virement de paradigme nécessaire à l’école de la réussite.

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Abderrahmane Lahlou

Après une carrière de vingt ans en tant qu’opérateur privé de l’Education scolaire et universitaire, et président fondateur d’associations dans l’enseignement et le Conseil en formation, Abderrahmane Lahlou a fondé ABWAB Consultants, spécialisé dans l’Education et la Formation. Il est expert auprès du Groupe Banque Mondiale pour le programme e4e au Maroc, et expert agréé auprès de la BID. Il réalise également des études pour le compte de ministères et d’organismes privés nationaux et internationaux dans les trois domaines de la formation universitaire, professionnelle et scolaire. Il est conférencier international en management, économie et éducation, et professeur visiteur dans des universités françaises