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L’absence de préparation du marché de la finance participative (islamique) est inquiétante, à la veille de la délivrance des agréments aux futures banques participatives, et alors que nous avons passé trente années de notre action associative et professionnelle à incuber le nouveau-né, et que le Maroc est loin d’être First Mover dans le domaine (il est absolument le dernier des pays musulmans à la mettre en place). S’il ne fait pas de doute que les attentes des milieux avertis et même des simples citoyens sont grandes, ces attentes sont surtout affinitaires. La majorité de ceux qui composent le futur marché de ces banques n’a pas une connaissance précise de ce que représente la banque participative (islamique) ni comment fonctionnent ses produits, si ce n’est qu’elle offre une alternative de financement et d’épargne à celle des banques conventionnelles existantes, dont l’activité est entachée de Riba (les intérêts débiteurs et créditeurs).
L’enquête menée sur le marché par ABWAB Consultants donnera certes des indications sur les desiderata et besoins de l’échantillon, mais cela restera sur le plan de la perception du consommateur de l’utilité rendue par ces futures institutions, ce qui ne manque pas d’importance pour lesdites institutions, dans la perspective du calibrage de leur offre. Mais c’est au fonctionnement du marché que l’on doit prêter attention, à savoir la capacité du client Corporate à comprendre les modes de financements nouveaux offerts et lesquels répondent à son besoin de financement, et la capacité du client Retail, qui lui est épargnant ou demandeur de financement à la consommation à faire confiance aux nouvelles banques et composer avec leurs contraintes. Ensuite, au-delà de l’activité bancaire, la place financière s’enrichira d’un autre nouveau venu, dont la présence est nécessaire aux yeux de la Charia pour que les produits bancaires puissent fonctionner. Il s’agit de l’assurance islamique appelée Takaful dans le projet de loi à paraître très prochainement. A l’inverse de la banque, en matière d’assurance, les produits sont les mêmes que ceux de l’assurance conventionnelle, mais le mode d’organisation et le statut juridique des compagnies sont fondamentalement différents. En effet, en matière de banque participative, le fonctionnement de l’institution est foncièrement le même que celui d’une banque conventionnelle, mais avec des produits contractuellement différents.
Sensibiliser, éduquer, former
C’est donc une véritable éducation du marché dont nous avons besoin. A l’image de l’initiative portée par Bank Al-Maghrib et relative à l’éducation financière, une action plus ciblée devra être lancée pour atteindre une série d’objectifs en cascade: la sensibilisation, l’éducation du marché et la formation technique. Cette nouvelle finance devra afficher comme marque de fabrique l’éthique et la solidarité. Mais si le client n’est pas sensibilisé et éduqué au même degré d’éthique, et qu’il ne valorise pas tout autant cette solidarité, il ne sera pas sur la même longueur d’ondes que sa banque.
- Sensibiliser la population à l’arrivée de cette nouvelle finance, comprenant la banque et l’assurance, car depuis des décennies, depuis la démocratisation de la bourse auprès des entreprises et des épargnants individuels, aucun évènement majeur dans la vie financière au Maroc n’est advenu. Des caravanes d’information, des universités d’été et autres supports écrits ou électroniques peuvent être judicieusement mis à contribution. Le Salon de la finance éthique et participative qui se tient en octobre prochain est aussi un excellent moyen de mettre les futurs opérateurs et composantes de leur écosystème en face à face avec leur clientèle potentielle. Le Forum qui se tient en marge comporte une originalité, celle de s’adresser pour la première fois au grand public, dans un souci de vulgarisation.
- Mener des actions de vulgarisation et de formation des citoyens et des décideurs des PME sur la nature des produits offerts. Beaucoup de fantasmes et d’incompréhensions se sont installés dans l’imaginaire du citoyen lambda. L’un pourrait penser que la banque islamique est caritative, tant l’image de l’Islam est attachée aux actions pieuses (on peut catholiquement penser que le monde des affaires est l’antre du profit et que celui de la religion est le royaume du don de soi et de ses biens). L’autre pensera que le partage pertes et de profits par la banque dispense de toute constitution de garanties réelles. Et d’autres encore basculent dans le sens opposé, pour considérer que cette nouvelle banque, c’est du pareil au même, et qu’il ne vaut pas le coup de changer de partenaire pour rien.
- Enfin, et au-delà de la littérature, les clients potentiels devront nécessairement savoir la différence entre les produits bancaires de risque (Moucharaka et Moudaraba) et les produits de dette (Mourabaha, Salam, Istisnaa et Leasing). Bien plus, ils doivent savoir que pour les produits de partage du risque par la banque, le profit est aussi partagé, et qu’ils seraient donc appelés à la plus grande transparence en matière de comptabilité, voire en matière de divulgation de certains secrets professionnels. Par ailleurs, ils doivent savoir quels produits peuvent financer leur besoin en fonds de roulement, et quels autres financent leurs besoins d’investissement. De leur côté, les épargnants soucieux de conformité de leurs gains avec la Charia devront s’accommoder de la fluctuation de leurs revenus d’épargne à la mesure des gains réalisés par leur banque, un peu comme à la Bourse, mais de manière plus contrôlée par la banque, qui ne joue pas le simple rôle de marché comme la Bourse, mais qui est le gestionnaire (Moudarib) des investissements qu’il réalise pour compte. En matière d’assurance, l’assuré sociétaire, qui ne sera plus un simple client acheteur d’une couverture de risques, devra s’habituer à une fluctuation des primes d’assurance à payer en fonction de la sinistralité d’une année à une autre, mais qui peut aussi lui être favorable.