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 La finance participative fait sa rentrée

Par 

Abderrahmane Lahlou

 L’Economiste| Edition N°:4861 Le 22/09/2016 |

http://www.leconomiste.com/sites/default/files/eco7/public/abderrahman_lahlou.jpgAprès une carrière de vingt ans en tant qu’opérateur privé de l’Education scolaire et universitaire, et président fondateur d’associations dans l’enseignement et le Conseil en formation, Abderrahmane Lahlou a fondé ABWAB Consultants, spécialisé dans l’Education et la Formation. Il est expert auprès du Groupe Banque Mondiale pour le programme e4e au Maroc, et expert agréé auprès de la BID. Il réalise également des études pour le compte de ministères et d’organismes privés nationaux et internationaux dans les trois domaines de la formation universitaire, professionnelle et scolaire. Il est conférencier international en management, économie et éducation, et professeur visiteur dans des universités françaises.

  

Soigneusement dépolitisée, la finance participative n’en fera pas moins une rentrée remarquée. La place bancaire et la place financière sont en attente pour décembre prochain de l’émergence pour la première fois de l’histoire du Maroc, des banques participatives, en couronnement  d’une longue préparation de trente ans et d’une gestation qui aura duré à elle seule cinq ans. Aujourd’hui, les textes de loi, décrets d’application et circulaires d’organisation sont en phase finale d’achèvement.

Les facteurs d’attrait des entreprises

En salle d’attente d’approbation, les textes de l’assurance Takaful et l’émission de Sukuk par le gouvernement. Mais les institutions ne sont pas les seules à attendre. Face à elles, citoyens et entreprises, clients affinitaires de ces banques et assurances, ont également attendu ce jour où ils pourront recourir à des produits bancaires et produits d’assurance et opportunités de placement financier conformes à la Charia et donc conformes à leurs convictions.
A la différence des particuliers, qui sont porteurs de convictions éthiques et religieuses guidant leur comportement économique, les entreprises sont-elles en mesure d’exprimer une quelconque affinité avec les banques participatives, alors qu’elles ne sont pas des personnes physiques concernées par la croyance, ni le devoir religieux? Une étude récemment menée au Maroc vient démontrer que les entreprises peuvent certes, être attirées par des valeurs religieuses de conformité à la religion, portées par leurs dirigeants. Il a été noté une forte propension à l’expression de cette croyance chez les TPE, plus que les PME, et encore plus que les grandes entreprises. Le phénomène est simplement dû à la proximité du dirigeant du centre de décision relatif aux opérations financières. Mais les entreprises sont tout autant attirées par un autre critère, qui n’est pas lié à la croyance religieuse, à savoir l’éthique que véhiculent ces futures banques et que peut dégager leur image perçue. Cette image se reflète sur deux plans connexes:

- l’éthique des produits qu’elles vont offrir, particulièrement les produits participatifs ou produits à risque tels la Moucharaka et la Moudaraba, dans la mesure où la banque est solidaire des résultats de l’entreprise;

- l’éthique du concept global d’une banque davantage en phase avec la création de richesse économique réelle, par le fait que dans une banque participative, on ne prête pas mais on finance directement la création de valeur par les producteurs économiques, aussi bien à travers les produits à risque, tels que la Moucharaka et Moudaraba, qu’à travers les produits de dette, tels la Mourabaha, le Salam ou l’Ijara.

Mais au-delà de ces deux points d’attrait, on note aussi l’intérêt (encore plus profane) des entreprises marocaines pour cette créature nouvelle, qui a tant réussi et tant enchanté dans le monde, affichant une croissance à 16%, voire 20%. Des taux qui ont longtemps résisté à la crise de 2008, avant de s’essouffler  l’an dernier. Il n’y a pas que l’effet d’annonce, mais l’espoir d’un New deal bancaire. C’est dans cet esprit même qu’ont été rédigés les préambules des décrets autorisant le CIH et la CDG d’un côté et, la semaine dernière, le Crédit Agricole du Maroc de l’autre, à créer des joint-ventures avec leurs partenaires internationaux respectifs, en quête de l’agrément à exercer, que seule la Banque centrale est habilitée à délivrer.

L’image intégrale prend forme

En perspective de cette échéance tant attendue, force est de constater que le puzzle est en voie de se compléter et que ses pièces voient le jour à bonne cadence. Depuis la conférence de presse de Bank Al-Maghrib de juin dernier, nous avons eu droit à trois circulaires d’application, qui sont la 12/w/16, portant sur les caractéristiques techniques des cinq produits de banque participative (Mourabaha, Ijara, Moucharaka, Moudaraba et Salam) en attente de l’Istisnaa, sixième produit prévu par la loi bancaire, une forme de BOT qui présente encore des frottements juridiques à résoudre avec le code de commerce. Puis la circulaire 13/w/16 portant sur les conditions et modalités de réception et emploi des dépôts d’investissement participatifs, et enfin la 14/w/16, portant sur les conditions d’exercice des activités et opérations participatives par les banques conventionnelles. Les circulaires sont en instance de publication au BO, et il restera à publier celle relative à l’exercice de la fonction d’audit interne chariatique, prévue par l’article 64 de la loi 103-12, et qui a été déjà produite.
En parallèle, les autorités monétaires et le gouvernement ont cherché à rattraper le temps perdu sur les deux compléments indispensables de la banque participative, d’une part l’assurance Takaful, conforme au principe de la Charia par sa forme sociétaire et le partage des produits de l’activité d’assurance, et d’autre part les Sukuks ou titres obligataires islamiques, adossés à des actifs producteurs de revenus à distribuer, en place et lieu des intérêts. Si l’assurance Takaful s’avère nécessaire à la conclusion d’actes d’achat-revente et d’actes de location-vente par les banques, les Sukuk sont le moyen privilégié de la gestion de la liquidité interbancaire participative. Pour le premier produit, des déclarations rassurantes du directeur de l’ACAPS en juin dernier, annonçant autant les produits vie que les non-vie, ont donné de la visibilité aux opérateurs d’assurance, dont beaucoup s’attellent à ficeler leur offre pour la «rentrée financière» prochaine. Quant au second produit, le gouvernement vient d’annoncer la couleur en signant avec ICD, filiale privée de la Banque islamique de développement, un mémorandum d’entente pour l’encadrement technique du ministère des Finances dans l’émission de Sukuks souverains. Une nouvelle déjà augurée par le directeur général de BAM en juin dernier. Pour sa part, la direction du Trésor annonce que le décret d’application de la loi 33-06 sur la titrisation et Sukuk, manquant au tableau, ainsi que les dispositions préparant la validation par le comité Charia du Conseil supérieur des oulémas sont fin prêts.

De nombreux acteurs interpellés

L’écosystème de la finance participative au Maroc ne serait pas complet sans les universités, cabinets de conseil et le monde des médias et de l’évènementiel, dont le rôle de sensibilisation et d’éducation financière à large échelle peut devenir essentiel. Enfin, la classe politique, qui n’a pas été étrangère à ce processus depuis son début en 2011, n’est pas en reste. Bien que n’étant pas impliqués économiquement, tous ces acteurs sont fortement interpellés par ce nouveau-né, appelé à devenir rapidement un fait de société.

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